En préparation du centenaire de la mort de Charles de Foucauld le 1er décembre 1916 à Tamanrasset, le Bulletin des Amitiés Charles de Foucauld (*) affiche la dernière photographie connue de lui pour la couverture des numéros qui, de trimestre en trimestre, vont nous rapprocher de décembre 2016.
Cette photographie nous donne son portrait entre 1914 et 1916. Il n'est pas possible dans l'état actuel des recherches d'établir avec certitude la date de cette photographie, pas plus que le lieu où elle a été prise : la porte assez travaillée qui se profile derrière le portrait n'est ni celle de « la frégate », ni une porte de l'ermitage fortifié habité après juin 1916.
En revanche, le photographe ne peut être qu'un des militaires en garnison à Motylinski – Charles de Foucauld y séjourne les 12, 13 et14 avril 1916 – ou l’un des militaires en mission temporaire dans le Hoggar. En ce deuxième cas, l'un de ces photographes amateurs pourrait être le médecin militaire Paul Vermale ([1]), aide-major à la Compagnie Saharienne du Tidikelt, affecté au Groupement du Hoggar en 1914, et dont on sait qu'il aimait photographier des paysages et des personnes du désert.
Le Journal et la correspondance familiale de Paul Vermale le décrivent à plusieurs reprises dans son cadre de vie à Tamanrasset. À la date du 30 octobre 1914, il loge à « la maison des officiers » construite dans les premiers mois de 1914 pour les officiers de passage (appelée aussi « la maison du beylic », autrement dit de « l'administration », ou « la maison des hôtes », selon René Bazin, cf. Charles de Foucauld, 1921, p. 421). On lit sous la plume de Vermale : « Installation dans la très agréable maison du beylic... Le Père prend ses repas avec moi, ce qui est charmant. Nous causons à perte de vue. » Le Docteur est venu à Tamanrasset à la demande du P. de Foucauld pour soigner de nombreux cas de paludisme, et il va y rester jusqu'au 23 novembre. La photo aurait-elle été prise dans ce mois de novembre 1914 à « la maison des officiers » ?
S'il est l'auteur de la photo, on retrouve Vermale, en vrai professionnel, travaillant sur ses négatifs, quelques semaines plus tard, le 14 décembre 1914, alors qu'il est au repos à Fort Motylinski. Comparant alors sa situation avec celle des combattants sur le front en France, il s'exclame : « Au lieu d'être sur la ligne de feu, je fais de la photographie. Oh ! ironie ! je fais des positifs sur verre. » (Au Sahara pendant la Guerre européenne, p. 119).
Sur cette dernière photo, si elle est de novembre 1914, Charles de Foucauld paraît, à 56 ans, avoir un physique de vieillard. Sa santé devait alors être assez médiocre, selon le diagnostic du Dr Vermale qui le soignera contre le scorbut quelques semaines plus tard. Les clichés que nous en avons, corrigés à partir de l'original, lui mettent quelques mèches de cheveux sur le sommet de la tête, alors que sa calvitie est déjà ancienne : « Ni dents, ni cheveux, barbe très grise, rides innombrables », écrira-t-il le 7 mars 1916 à son ami de longue date, le « toubib » Balthazar, du 4ème Chasseurs d'Afrique.
Mais les yeux et le sourire sont d'un vivant ! Et la physionomie est parlante, surtout mise en parallèle avec le Foucauld des années de jeunesse, celui que Balthazar aura connu en 1881. Pour montrer l'impression ressentie au contact d'un tel visage, voici le témoignage d'Olivier Clément (1923-2009), agrégé d'histoire et professeur de théologie à l'Institut de théologie orthodoxe de Paris. L'auteur, d'abord attiré par les sagesses orientales, parle ici d'une découverte faite avant sa conversion de 1950 au christianisme : « Je fus bouleversé par les photographies, rencontrées, je crois, au hasard d'un livre, du père Charles de Foucauld. Ces photographies avaient été prises aux divers moments de sa vie. La transformation que j'avais vu la mort accomplir sur certains visages se réalisait ici en pleine vie. En pleine vie, c'était le passage par le feu et comme une mort-résurrection... Ces photographies où la chair était remplacée par une braise ont été pour moi une introduction à l'icône, que j'allais découvrir bientôt, et qui, déjà, m'accompagnait... et aussi une réponse à l'Inde et aux orients extrêmes : arrivé à l'éveil, le sage de là-bas ferme les yeux, savoure une enstase totalisante, son visage devient lisse, plein, aquatique ; arrivé à l'éveil, le saint appelle abba, Père, comme s'il priait pour la première fois, il entre dans une toujours nouvelle première fois, il devient flamme. » (Extrait de L'autre soleil, autobiographie spirituelle, Stock, 1975, 177 p., citation des pp. 127-128 ; réédition, DDB, 2010).
Les Amitiés Charles de Foucauld
NDLR : Dans la mesure du possible, pour préparer ses lecteurs au centenaire de 2016, le Bulletin des Amitiés rappellera brièvement chaque trimestre un fait marquant des derniers mois de la vie de Charles de Foucauld.
(*) Bulletin trimestriel des Amitiés Charles de Foucauld, 56 rue du Val d'Or, 92150 SURESNES, abonnement annuel 30 €.
([1]) Les lecteurs qui veulent en savoir plus sur le médecin militaire Vermale peuvent se reporter à notre Bulletin n° 128 d’octobre 1997 (« Une amitié saharienne du P. de Foucauld : Paul Vermale »), et au Bulletin n° 129 de janvier 1998 (Le Journal du Docteur Paul Vermale »).