Lettre du 20 février 1896 au colonel de Foucauld de Ponbriant
Trappe de N.-D.-du-Sacré-Cœur
Jésus
Merci mon cher Louis de ta lettre du mois de décembre : merci de tes souhaits de bonne année : tu me souhaites tout ce qu'un Trappiste peut désirer : ce n'est pas peu de choses : c'est Dieu même que je désire dans cette vie et dans l'autre ; L'aimer, être aimé de Lui et le contempler éternellement dans l'autre vie, voilà ce que je désire : Tu vois que tes souhaits vont plus loin que la terre et que la vie et tu ne pouvais me faire de meilleurs souhaits que ce que tu le fais...
Il est doux de parler de Dieu et de l'autre vie, mon cher Louis, cela est plus beau et plus consolant que de parler du pauvre monde. Ici nous avons été au milieu des massacres, des pillages, des assassinats... Notre qualité d'Européens nous a garantis, à tel point que non seulement nous n'avons couru aucun danger sérieux, mais encore que notre présence et celle d'une mission de Lazaristes à trois kilomètres de nous ont protégé les chrétiens des deux localités...
Le pays est beaucoup plus tranquille maintenant : aussi tu n'as aucune inquiétude à avoir à mon sujet. Les autorités ont veillé avec le plus grand soin à notre sécurité ; et de plus tout le pays semble plus calme depuis quelques semaines... Mais il y a eu des horreurs : environ 100.000 massacrés probablement, de tout âge, de tout sexe, les populations les plus inoffensives, massacrées en bloc, froidement, par la troupe.
Et pour les survivants, c'est une misère épouvantable : leurs villages ont été brûlés, tous leurs biens pris : ils sont sans abris, sans ressources, sans secours, entourés d'ennemis, au milieu de l'hiver, dans leurs montagnes couvertes de neige : c'est plus lamentable que tout ce qu'on peut imaginer...
(à suivre)